Qu’il soit extravagant, original, coloré, minimaliste ou à la pointe des tendances, le style vestimentaire est toujours l’expression d’une part de celui ou celle qui l’arbore. A la manière d’un étendard, le vêtement et, plus largement, les accessoires, traduisent l’identité d’une personne, parfois jusqu’à ses convictions politiques. De fait, il n’est pas surprenant que la mode ait été, à de nombreuses reprises au cours de l’Histoire, l’expression d’idées dissidentes.
Des crêtes et vêtements déchirés des punks des années 70 jusqu’à la tendance “moche” d’aujourd’hui, la mode est régulièrement utilisée pour exprimer la rébellion. Mais ce mode d’expression ne dure jamais très longtemps, rapidement rattrapé par l’un des fondements de la mode : l’imitation.
Voyons ensemble comment la mode a pu exprimer la dissidence au travers de quelques exemples historiques.
Conformiste et dissidente : la mode est pleine de paradoxes
Dans l’immense majorité des cas, les styles vestimentaires exprimant la rébellion, face à un gouvernement, des fait établis, etc., sont voués à perdre leur ADN revendicatif assez rapidement.
Ceci est dû à l’essence même de la mode, fait social total (au sens maussien du terme) qui repose sur un équilibre délicat entre distinction par rapport aux autres et imitation de ceux dont on partage certaines caractéristiques identitaires (classe sociale, idéaux politiques, religion,etc.). De plus, la notion de mode n’a de sens que si l’on accepte qu’elle soit impermanente : un style n’est à la mode que pour un certain temps ; aussitôt que la tendance s’est répandue dans toutes les classes de la société, la mode passe. Un nouveau style prend alors le relais, avant d’être à son tour passé de mode, et c’est un éternel recommencement.
Depuis que la mode existe en tous cas.
En effet, la mode telle qu’on la conçoit aujourd’hui, c’est-à-dire comme un fait social, émerge en Italie à la Renaissance, à peu près en même temps que le capitalisme. A ce moment-là, le style vestimentaire, et donc la mode, est un outil utilisé par la bourgeoisie pour se distinguer de la noblesse mais, l’un des principes de la mode étant l’imitation, l’effet distinctif est vite tombé à l’eau, ce qui a poussé à l’émergence de nouvelles modes, etc. etc.
C’est finalement le même mécanisme qui a fait naître les mouvements stylistiques contestataires modernes : punks, hippies et autres suffragettes ont voulu utiliser le vêtement, et plus largement les accessoires, pour faire passer un message politique… Jusqu’à ce que la mode mainstream, les créateurs et ensuite le prêt-à-porter, ne récupèrent ces nouveaux codes originellement dissidents pour en faire de nouvelles tendances, et donc les rendre mainstream à leur tour. En conséquence, le style dissident d’origine se perd dans la masse : les contestataires des premières heures ne parviennent plus à se distinguer de la masse grâce à leur style vestimentaire.
En général, soit le courant dissident meurt, soit il se réinvente, imaginant un nouveau style, adoptant de nouveaux codes… Jusqu’à ce que l’histoire se répète.
Quand la mode devient une forme de rébellion : exemples d’hier et d’aujourd’hui
Mais cette infinie répétition du mécanisme n’a pas empêché le vêtement d’être utilisé comme moyen d’expression privilégié pour exprimer sa différence individuelle, et parfois son opposition face à l’ordre établi. La preuve avec quelques exemples.
L’inefficacité des lois somptuaires face à la bourgeoisie de la Renaissance
Commençons il y a quelques siècles, alors que l’aristocratie voit d’un mauvais œil la montée de la bourgeoisie. Pour tenter d’endiguer ce changement majeur (et donc de conserver un maximum de privilèges), l’aristocratie renoue avec une coutume ancienne, celle des lois somptuaires. Ces lois existent depuis au moins l’Antiquité et visent à encadrer l’usage de vêtements, aliments et boissons, principalement selon la classe sociale, l’origine ethnique ou encore la religion des individus. Celles proclamées à l’époque de la Renaissance, qui sont aussi nombreuses qu’inefficaces, démontrent comment la mode a, depuis toujours, le pouvoir de dépasser l’ordre établi.
Le dandysme de la fin du XIXe siècle : s’affranchir de la mode pour embrasser le style
Autre exemple de mode fondée sur une volonté de s’extraire de la volatilité inhérente des tendances : le dandysme. Ce courant stylistique a émergé en Angleterre à la fin du XIXe siècle et se caractérise par une approche strictement esthétique du style et, surtout, une approche individuelle, et non collective, comme peut l’être celle portée par la mode “classique”.
L’idée est de trouver son style, et de ne pas se laisser emporter par le flot incessant des tendances : élégance individuelle plutôt que conformisme à l’esthétique collective. Bien sûr, il ne faudra pas longtemps pour que le style dandy devienne un phénomène de mode à part entière, qui revient régulièrement depuis sa création.
Les hippies des années 60-70 : le Summer of Love contre les guerres
Faisons un bond dans le temps pour arriver jusqu’à la fin des années 60 aux Etats-Unis. A cette époque, la contre-culture hippie fait de plus en plus d’émules. Comme tout mouvement dissident qui se respecte, le courant hippie a ses propres codes vestimentaires : bandeaux, tops en crochet, robes à fleurs, jeans patte d’eph, motifs psychédéliques, etc.
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Les punks des années 70 : No Future
Tout comme les hippies, les punks des années 70 ont utilisé leurs vêtements, accessoires et bijoux pour afficher aux yeux de tous leurs convictions politiques, en particulier leur opposition féroce à la société de consommation et aux institutions en place. Et tout comme leurs prédécesseurs pacifistes, les punks ont vu leurs codes vestimentaires récupérés par les créateurs de mode, par exemple Vivienne Westwood, et devenir de véritables tendances.
Aujourd’hui encore, l’esthétique punk est régulièrement remise au goût du jour, sans pour autant ramener avec elle les revendications de ses inventeurs.
Les tendances “moches” d’aujourd’hui : haro sur le prétendu bon goût
Pour terminer ce rapide tour d’horizon des courants de mode rebelles, penchons-nous sur une tendance très actuelle : celle du “moche”, ou du mauvais goût. Cela fait en effet plusieurs saisons que l’on assiste à un retour en masse de pièces que l’on jugeait jusqu’alors “de très mauvais goût”. On pense par exemple aux pantalons cargo, aux Birkenstock, au bob, aux casquettes de camionneurs, etc.
La revendication politique derrière tout ça ? Celle d’un renversement de l’ordre social, ni plus ni moins. En portant de façon ironique des choses considérées comme moches, on questionne en réalité les notions de bon et mauvais goûts, et la manière dont les classes sociales dominantes imposent leur propre conception du beau aux classes inférieures. Le renversement a comme toujours eu lieu puisque pouvoir se permettre de porter du laid est évidemment un privilège !